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Anne-Marie Rey, pionnière du droit à l’avortement en Suisse

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Les Suisses sont appelés à voter par référendum,  dimanche 9 février,  sur une proposition remettant en cause le remboursement de l’IVG par l’assurance maladie. Un grave recul pour Anne-Marie Rey, qui a largement contribué à la légalisation de l'avortement dans son pays en 2002. Portrait

Anne-Marie Rey, pionnière suisse du droit à l'avortement. ©Saskja Rosset

Anne-Marie Rey, pionnière suisse du droit à l'avortement. ©Saskja Rosset

« Je ne suis pas fatiguée et quand je me révolte, je ne le fais pas à moitié. » A 76 ans, Anne-Marie Rey a le verbe serein, les traits reposés mais le poing vigoureux. Depuis quarante ans, cette militante féministe, originaire du canton de Berne au centre du pays, a été l’instigatrice de toutes les batailles qui ont permis à la Suisse de dépénaliser l’avortement.

« Mon engagement, nous dit-elle, je le dois à mon père gynécologue. Ses collègues dirigeaient vers lui des patientes de tout le pays lorsqu’ils ne pouvaient pas eux-mêmes prendre la responsabilité de pratiquer une interruption de grossesse illégale. » Pour forger la culture scientifique et les arguments qui deviendront ses armes dans les luttes à venir, il lui donnait à lire des publications médicales sur les avortements clandestins qui, dans les années 1960, variaient entre 20 000 et 50 000 par année. Sa révolte est née de ces constats:  « Il y avait de nombreux décès suite à des avortements clandestins et les condamnations pleuvaient. Pas d’éducation sexuelle, ni de moyens de contraception convenables. La pilule qui venait d’arriver sur le marché était très hautement dosée, et mon père refusait de me la prescrire. »

Une blessure politisée

Un traumatisme personnel l’a incitée à transformer son indignation en étendard politique. A 24 ans,  alors bien informée et protégée, un échec contraceptif provoque une grossesse involontaire. « J’avais de grands projets de vie et tout cela allait être ruiné pour un diaphragme défaillant. J’ai pleuré, j’étais en colère, tout mon corps se révoltait contre cette grossesse. J’étais dans une grande détresse psychologique. » Touché par l’état de sa fille, son père consent à l’aider. « Après l’opération, je me suis sentie soulagée. Les militants anti-avortement évoquent sans cesse les lésions physiques et psychologiques liées à un avortement, mais c’est faux dans la plupart des cas. Une grossesse non désirée est un traumatisme bien plus lourd pour une femme », estime-t-elle.

En 1970, elle envoie un article à un quotidien local, Bund. Elle y critique fermement le climat restrictif à l’égard des femmes suisses, l’éducation sexuelle inexistante et la méthode de contraception par abstinence sexuelle périodique dite Knaus-Ogino, du nom de ses créateurs. Le lendemain de la publication de ce texte, elle est contactée par un juriste, Fritz Dutler, qui souhaite lancer avec elle une initiative populaire (outil de démocratie direct qui permet de saisir le peuple par référendum afin qu’il statue sur une proposition de loi) décriminalisant l’avortement dans le pays. « Je lui ai répondu que je le voulais bien, mais que je n’avais, en tant que femme, même pas encore le droit de vote ! ». Il n'a été accordé qu'en 1971 aux femmes en Suisse.

Première initiative infructueuse

Une première opportunité survient à la suite de plusieurs inculpations de médecins et de deux « faiseurs d’anges » dans le canton de Neuchâtel, proche du Jura. Choqué, Maurice Favre, un député radical du canton, dépose une motion parlementaire réclamant une initiative pour abroger les articles du code pénal suisse (118 à 121) qui depuis 1942, menacent d’emprisonnement les femme qui avortent, tout comme les personnes qui les aident. « On l’a immédiatement contacté et lancé un comité d’initiative afin de recueillir les 100 000 signatures nécessaires. On était cinq au début, sans l’appui d’aucun parti. » Mais l’impulsion est donnée et, en 1971, de nombreux groupes féministes naissants se joignent au mouvement, à l’instar de la section suisse du Mouvement de libération des femmes (créé en août 1970 à Paris) qui récolte une grande partie des paraphes.

L’initiative est déposée fin 1971 mais se heurte à l'opposition des milieux catholiques et conservateurs. Anne-Marie Rey fonde alors en 1973, avec l’aide de collègues, l’Union suisse pour décriminaliser l’avortement (USPDA) qui rassemble 4 000 sympathisants. Mais au parlement, seuls deux députés socialistes, Jean Ziegler et Arthur Villard, se montrent favorables à l’initiative. Jugée trop radicale, elle sera retirée en 1976, au profit d’une version édulcorée : légalisation de l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse.  L’initiative sera cependant rejetée à l'issue du référendum en 1977, par 51,7% des voix. « Les opposants avaient dépensé des millions en campagne. En comparaison, nos moyens étaient risibles. »

Un combat de longue haleine

L’échec ne sera que partiel. Les pratiques d’interruptions de grossesse se libéralisent dans de nombreux cantons et en 1985, l’initiative « pour le droit à la vie », émanant des milieux anti-avortement est aussi rejetée par le peuple. Louvoyant entre les féministes radicales et la droite chrétienne, Anne-Marie Rey et l’USPDA choisissent la modération, « seule manière en Suisse d’atteindre une majorité parlementaire, souligne-t-elle. Un second rejet aurait été fatal, nous avons donc décidé de faire profil bas pendant dix ans ».  Anne-Marie Rey et l’USPDA se livrent alors à un lobbying discret auprès des parlementaires. « On les appelait tout le temps, en leur fournissant des informations uniquement basées sur des faits scientifiques et médicaux. »

Ce travail pugnace finira par payer. Le 2 juin 2002, avec 72,2% des voix, les Suisses acceptent de dépénaliser l’avortement. « Nous avons bondi de joie en voyant les résultats. Nous pensions atteindre au mieux un petit 60% », dit-elle. Le même jour, le peuple rejetait à 81,7% des voix, l’initiative « pour la mère et l’enfant » émanant des milieux conservateurs. Leur tâche accomplie, les membres de l’USPDA décident de dissoudre leur association en 2003. « Je croyais ne plus jamais avoir à revenir sur cet acquis majeur. Je m’étais trompée », constate Anne-Marie Rey. En janvier 2010, les milieux chrétiens et conservateurs lancent une nouvelle initiative intitulée  « financer l'avortement est une affaire privée », soutenue notamment par le parti populiste UDC, plus connu à l’étranger pour avoir réussir à bannir les minarets du pays. L’objectif visé est d’exclure l’avortement des prestations remboursées par l’assurance maladie de base, principe sur lequel les électeurs suisses votent dimanche 9 février.

Un climat réactionnaire

Aujourd’hui, si Anne-Marie Rey se tient un peu plus en retrait, ce n’est pas par dépit ou lassitude mais « parce qu’il faut laisser le soin aux jeunes générations de se battre pour leurs droits », menacé de reculer en Suisse mais aussi en Espagne, voire en France. Mais sa colère militante bout encore. « Un embryon de quelques millimètres, si c’est bien une vie en gestation, ce n’est pas l’équivalent d’un être déjà né, fulmine-t-elle. On ne peut le considérer au détriment d’une femme qui a un entourage, des projets et une existence. L’avortement n’est pas un choix contre la vie mais bien pour sa défense. »

Matteo Maillard (Le Monde Académie)


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